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Extrait
du livre « Les sodats libres »
(Editions l’AEncre, 2002, ISBN 2-911202-50-3)
La première opération de Bob Denard aux
Comores eut lieu en septembre 1975. Objectif : neutraliser Ahmed Abdallah,
qui s'agitait un peu trop depuis le référendum du 6 juillet
établissant l'indépendance de trois des quatre îles
de l'archipel, et le remplacer par quelqu'un d'autre. Abdallah n'était
pas en cour auprès du pouvoir français de l'époque,
qui décida de miser sur un autre cheval : Ali Soilih, jeune et
brillant ingénieur agronome, dont les idées et le dynamisme
avaient séduit les cabinets ministériels parisiens. […] Alors qu'aux Comores celui qu'on appelait maintenant « le fou de Moroni », Ali Soilih, multipliant les références à Pol Pot, était en plein dérapage, Bob Denard quitta le pays, en promettant, c'était devenu une habitude, de revenir. Une fois de plus, il tint parole. […] Comores 2 - Douze ans de règne […] A Moroni, Ali Soilih s'enfonçait de plus en plus dans le « socialisme scientifique ». L'alcool et le chanvre aidant, il sombra dans la folie. Rompant avec la France, il engagea le processus qui allait le conduire à sa perte. Les archives furent détruites, tous les partis, groupements et associations à caractère politique dissous, l'âge de la majorité abaissé à 14 ans. Dans cet archipel profondément musulman, Soilih commit l'erreur de faire fermer les mosquées le vendredi. En butte à l'hostilité de plus en plus marquée des notables comoriens, il s'appuya sur les lycéens et forma avec eux les terribles commandos Moissi qui semèrent la terreur et la désolation. Fin 1977, le massacre d'Iconi, perpétré par les Moissi, décida - enfin - les autorités françaises à faire quelque chose, sans toutefois aller jusqu'à s'impliquer directement : le courage n'est plus, depuis longtemps, la vertu des gouvernements occidentaux. C'est Denard qui s'en chargea, bénéficiant d'un « feu orange », ce qui signifiait qu'il serait couvert s'il réussissait et enfoncé s'il échouait. La routine. – Alors, Président, voilà ce qu’il
en coûte d’oublier de tenir sa parole avec ses amis. [...] Bob Denard avait toutes les raisons d’en vouloir à l’homme qu'il avait aidé trois ans plus tôt à prendre le pouvoir et qui avait trahi sa confiance. Mais il se sentait aussi une part de responsabilité. Comme il le dit souvent, il voulait « régler sa dette envers le peuple comorien ». Comme pour refermer une parenthèse dans l’histoire des Comores, il venait rétablir Ahmed Abdallah et œuvrer pour le développement du pays. Aux anciens Moissi et aux ministres déchus, qui
avaient remplacé dans la prison les opposants au régime
d’Ali Soilih, il lança : Bien que ses hommes avaient été accueillis en libérateurs, il savait que l’euphorie ne durerait pas. [...] Une fois l'opération réussie, la France souhaitait être plus ouvertement impliquée, ne serait-ce que pour acquérir des moyens de pression supplémentaires sur Abdallah. En août 1978, un accord fut trouvé. Bob céda à la France officielle les Forces Armées Comoriennes ainsi que la Gendarmerie et quitta l'uniforme. Une partie de ses hommes restèrent. Pour assurer le développement de l’archipel, il fallait en garantir la stabilité. Ce fut le rôle de la G.P., la Garde Présidentielle. Encadrée par des « officiers servant à titre étranger », elle devint au fil du temps la seule force militaire crédible du pays. Les militaires sud-africains ne s’y trompèrent pas qui, à partir de septembre 1979, décidèrent de financer la G.P. en échange de l’installation sur place d’une station d’écoute destinée à l’acquisition du renseignement sur ce qui se passait au Mozambique. Trois ans plus tard, le ministère des affaires étrangères de Pretoria apporta un complément de budget, dans l’espoir d’une représentation diplomatique, qu’il n’obtint d'ailleurs jamais véritablement. Ahmed Abdallah, ancien sénateur français,
vieux routier de la politique, n'entendait pas se défaire de ses
mercenaires. Lorsque le Tchadien Hissène Habré lui reprocha
cette présence au cours d'une réunion de l'Organisation
de l'Unité Africaine, il lui répondit : Et le guerrier se fit bâtisseur : Avec ses cadres européens, Bob Denard créa
un nouveau style de « mercenaires ». Ils ne venaient pas uniquement
pour le « baroud » mais pour apporter et transmettre aux comoriens
un savoir-faire technique. A la tête des unités de la G.P.,
de jeunes sous-officiers et officiers de réserve français
s’attachaient à former un encadrement comorien. Ils étaient
payés trois fois moins que les coopérants français
officiels, mais prenaient leur travail à cœur. Parfois, pendant
plusieurs mois, les « affaires étrangères »
sud-africaines ayant « fermé le robinet », ils ne furent
pas payés du tout, comme au début de 1987 : Au fil des années, la Garde Présidentielle
se développa, jusqu'à devenir un véritable bataillon
avec trois compagnies de combat. Le colonel Saïd Mustapha Mhadjou,
nom comorien de Bob Denard, partagea alors son temps entre l'Afrique du
Sud et les Comores. Bob Denard fit aussi venir des chefs de chantiers pour
les travaux qu’il voulait réaliser, et des fermiers pour
créer à Sangani une ferme pilote destinée à
prouver aux Comoriens qu’ils pouvaient acquérir leur autosuffisance
alimentaire. Troquant la Kalachnikov contre la pelle, les compagnies de
la G.P. se succédèrent à Sangani pour y construire
un impluvium, afin de régler les difficiles problèmes d’irrigation
sur ce sol volcanique. Il n’y a en effet pas de cours d’eau
en Grande Comore. Le pompage de la nappe phréatique apporte de
l’eau dans les agglomérations côtières, mais
en altitude la seule solution est le captage de l’eau de pluie. La Garde Présidentielle, considérée
comme anachronique, gênait d’autant plus que son évident
succès contredisait les thèses politiquement correctes en
vigueur sur le mercenariat. Il fallait s’en débarrasser.
Agissant de concert avec les « affaires étrangères
» sud-africaines, la France socialiste décida d’en
finir. La mort du président Abdallah, tué accidentellement
par son garde du corps comorien, le sergent-chef Jaffar, alors qu'il venait
de signer l'ordre de désarmement des Forces Armées Comoriennes
soupçonnées à juste titre de préparer un mauvais
coup, précipita les événements. Les autorités
françaises décidèrent de faire porter le chapeau
à Denard.
Dès 1991, rien n’allait plus aux Comores.
Grèves et manifestations se succédaient dans les trois îles.
A plusieurs reprises, le président Djohar n'hésita pas à
faire tirer sur la foule. Les îles d'Anjouan et de Mohéli
hissèrent - déjà - le pavillon français pour
marquer leur opposition au gouvernement fédéral, lequel
ne gouvernait d'ailleurs plus rien. Apprenant la nouvelle, le président
Djohar se contenta de déclarer qu'il s'en moquait !
Jusqu'en 1995, la situation ne fit qu'empirer. Des cas de famine furent signalés, la jeune république comorienne était au bord de l'éclatement. Aussi, lorsqu'au matin du 28 septembre 1995, la rumeur publique – « radio cocotier » – répandit la nouvelle du retour de Bob Denard, nombreux furent les Comoriens qui laissèrent éclater leur joie. Une fois de plus, l'affaire fut rondement menée.
Pendant neuf mois, le colonel Denard avait méticuleusement préparé
l'opération Kashkazi. Son exécution fut un modèle
du genre. Il n'avait fallu que quelques heures à Bob Denard pour faire tomber le régime Djohar. Le capitaine Combo, le plus haut gradé des prisonniers libérés, prit la parole à la radio et, au terme d'un discours ponctué par un tonitruant « Vive les Comores libres ! », constitua un Comité Militaire de Transition qui, trois jours après, remit officiellement le pouvoir à deux co-présidents civils. Mohamed Taki Abdoulkarim et Saïd Ali Kemal furent chargés d'organiser des élections libres sous contrôle de la communauté internationale. La situation semblait normalisée. La quasi-totalité des partis politiques comoriens manifesta sa satisfaction. Les îles d'Anjouan et de Mohéli, largement laissées pour compte par l'administration fédérale comorienne et qui avaient, à plusieurs reprises, fait état de leurs velléités séparatistes, se rallièrent au « putsch » avec enthousiasme. Tout le monde était content ; on aurait pu croire l'affaire terminée. C’était compter sans l’univers glauque qui, à Paris, autour de Michel Dupuch, régnait sur les « affaires africaines ». Le 29 septembre, Alain Juppé, premier ministre français, déclarait qu'il n'y aurait pas d'intervention militaire française. Dans la nuit du 3 au 4 octobre, l'armée française lança une intervention en force : un millier d'hommes, pour éliminer ... vingt-neuf mercenaires qui avaient clairement fait savoir qu’en aucun cas ils seraient à l’origine d’un affrontement avec des soldats français. [...] Les autorités françaises pouvaient-elles ignorer que Denard préparait une opération aux Comores ? Evidemment, non. Une telle opération n'a pas pu se préparer dans un secret absolu. A partir du moment où les services concernés en avaient connaissance, il suffisait de quelques coups de téléphone pour l'arrêter si elle ne plaisait pas. Si les autorités françaises ont laissé faire, c'est parce qu'elles y trouvaient leur compte. L'éviction définitive de Djohar, exilé - sans son accord - à la Réunion, est là pour en témoigner. La réalité apparaît avec une sinistre évidence : les autorités françaises ont laissé Denard faire le travail, puis ont tenté de s'en débarrasser. Seule la judicieuse occupation du terrain médiatique par Bob Denard a permis de contrecarrer ce funeste projet. Une page de l'aventure Denard aux Comores est tournée,
mais est-ce vraiment la dernière ? Déjà, en 1989,
Bob Denard déclarait aux journalistes : |