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Autopsie
d’une manipulation
Le
20 juin 2006, la justice de la république française condamnait
le colonel Denard et ses hommes pour avoir destitué le président
comorien en septembre 1995, au motif qu’ils « restent
dans l’incapacité de démontrer qu’ils auraient
reçu l’ordre explicite d’agir comme ils l’ont
fait, la simple conviction que l’opération était
implicitement couverte n’étant pas suffisante à
réunir les conditions exonératoires prévues par
l’article 122-4 du Code pénal ».
A
quelques jours de la célébration officielle du 90ème
anniversaire de la bataille de Verdun, le parallèle est lourd
de sens. Il faut se souvenir du sacrifice de 700 hommes du 130ème
régiment d’infanterie qui, le 10 août 1914, ont spontanément
chargé, baïonnette au canon, les troupes allemandes à
Mangiennes, trempant de leur sang la volonté d’acier des
combattants de la Grande Guerre. Aucun d’entre eux n’aurait
pu fournir le moindre « ordre explicite d’agir
», pour la simple raison qu’ils avaient chargé sans
ordre. Mais quiconque se serait avisé de les condamner pour cela
eût été fusillé sur le champ. Les temps changent…
Au-delà
de cette condamnation pour le moins surprenante, ce jugement est un
chef d’œuvre et probablement une première dans l’histoire
de la justice française. Il dévoile au grand jour une
des plus incroyables manipulations de la Vème république,
allant jusqu’à en préciser le mécanisme :
« […] il est donc évident que les services
secrets français avaient eu connaissance du projet de coup d’Etat
conçu par Robert Denard, de ses préparatifs et de son
exécution.
Il est tout aussi manifeste qu’au moins ils n’avaient rien
fait pour l’entraver et qu’ils l’avaient donc laissé
arriver à son terme.
En conséquence, c’est que les responsables
politiques l’avaient nécessairement voulu ainsi
; ce qui est à rapprocher du fait que, comme vu ci-dessus, Mohamed
Djohar, après l’opération Azalée, n’avait
nullement été rétabli dans ses fonctions présidentielles.
»
Tout
est dit. Du début à la fin, du débarquement du
28 septembre 1995 au jugement du 20 juin 2006, cette affaire a été
manipulée par les autorités politiques françaises.
Ce qui est remarquable, c’est qu’un juge ait eu le courage
de décrire la manipulation. Il faut noter que cette description
n’est pas faite au conditionnel. Les faits sont clairement affirmés
par le vice-président de la 14ème chambre du Tribunal
de Grande Instance de Paris.
En
poursuivant le raisonnement du tribunal, on en arrive à la conclusion
que cette manipulation se résume en quatre phases :
-
Le
débarquement du colonel Denard était voulu par les
responsables politiques français et son résultat
a été entériné par la France. Au cas
où ce ne serait pas assez clair, le texte du jugement précise
qu’il est « impossible et impensable
» que cette opération « ait pu
être méconnue des services secrets et de la Cellule
Africaine de l’Elysée ».
-
Cela
implique nécessairement que l’intervention militaire
française qui a suivi, baptisée opération
Azalée, reposait sur un énorme mensonge des mêmes
responsables politiques, ce qui est à rapprocher des déclarations
d’un officier français qui affirmait avoir été
« manipulé au moins autant que les mercenaires
». Cette deuxième phase de la manipulation est
aussi la plus scandaleuse car elle révèle au grand
jour la trahison dont ont été victimes le colonel
Denard et ses hommes.
-
Les
poursuites judiciaires demandées par le ministre des affaires
étrangères au ministre de la justice de l’époque
constituent à l’évidence la troisième
phase de cette manipulation. Ces deux responsables politiques
étaient nécessairement solidaires de ceux qui «
l’avaient nécessairement voulu ainsi
» puisqu’ils faisaient partie de la
même équipe. L’instruction, qui s’est
étalée sur dix ans, a été elle-même
un monument de manipulation, les prévenus étant
soigneusement entretenus dans l’idée que cette affaire
ne pouvait pas aller jusqu’à un procès. Le
jugement du 20 juin 2006 reconnaît d’ailleurs explicitement
que « les poursuites engagées en France faisaient
suite à de multiples et graves irrégularités
de procédure qui auraient pu en faire mériter l’annulation
». Et pour parachever le tout, la procédure
lancée sous une qualification criminelle est requalifiée
en correctionnelle au bout de dix ans. Cette ultime manipulation
du parquet permet de faire juger l’affaire par un tribunal
correctionnel et non pas une cour d’assise, autrement dit
de gérer l’affaire entre professionnels pour éviter
l’acquittement qu’un jury populaire n’aurait
pas manqué de prononcer.
-
Malgré
ces « graves irrégularités de procédure
qui auraient pu en faire mériter l’annulation
» le tribunal ne prononce pas la nullité de la procédure,
alors même que c’est à l’audience que
certaines de ces irrégularités ont acquis le caractère
incontestable nécessaire à leur prise en compte.
Pire, il prononce des peines exagérément lourdes
(à l’exception de quatre dispenses de peine sur les
vingt-six condamnations prononcées), en contradiction formelle
avec les motivations du jugement. Et comme pour s’excuser
il assortit ces peines de la non inscription au bulletin N°2
du casier judiciaire. Le message de toutes ces contradictions
est clair : il faut des coupables pour protéger l’Etat.
Mais le trouble du tribunal est manifeste.
Curieuse
république qui instrumentalise et manipule sans vergogne ceux
qui sont prêts à la servir.
Curieuse justice qui, tout en dévoilant le mécanisme de
la manipulation, en condamne les victimes sans poursuivre ses auteurs.
Curieuse époque où le fait de servir son pays conduit
devant les tribunaux.
L’affaire
n’est pas pour autant terminée. Le colonel Denard et ses
hommes ont de très sérieux arguments à faire valoir
en appel. Mais ils ont aussi toutes les raisons de n’avoir pas
confiance en la justice de leur pays.
«
Sur le terrain de la justice française, les dés sont
pipés. C’est la même caisse de l’Etat qui paye
les juges et ceux qui nous ont envoyés faire cette opération.
Comment peut-on sérieusement leur demander d'être juge
et partie ? », s’interroge l’un d’eux.
Et il se souvient : « Les juges assesseurs et le procureur
nous ont offert pendant tout ce procès le spectacle de la justice
telle qu’elle est aujourd’hui, largement composée
de gens structurellement incapables de comprendre qu’il puisse
exister un monde libre en dehors de leur prison idéologique.
Seul le président semblait comprendre »
Enfin il prévient : « Dans les cours d’appel,
ce sont les mêmes. Se battre sur leur terrain est inutile et contre-productif.
D’autres espaces nous attendent où ils n’ont pas
leur place. »
«
Je n’accepte pas, je n’oublie pas, je ne pardonne pas,
mais je passe à autre chose », termine-t-il tout en
rappelant cette vérité héritée de la sagesse
des anciens : « La roue tourne ! ».
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